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Un stock et des lignes : les fanzines d’antipsy, 19..-2024

Un stock et des lignes : les fanzines d’antipsy, 19..-2024

   

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Transfinis - octobre 2023

   


 

Ce texte a été rendu possible par un travail mené au sein du collectif Encore Heureux… , avec Olivier Nourrisson et Stéphanie Béghain. Ce travail a précédemment donné lieu à une exposition et à un kiosque à journaux à la Fonderie au Mans, ainsi qu’à une émission de radio sur Fréquence Paris Pluriel La suite au prochain numéro.

 

« On ne déconne pas avec les horaires ici, bien que le temps ne semble pas exister » (Sans Remède, n°4)

 

Pourquoi s’attacher à lire un peu systématiquement et en série les fanzines d’antipsychiatrie ou critiques de la psychiatrie, à en faire une ébauche d’histoire, de là, à en afficher certaines couvertures et certaines pages ?

À rechercher du singulier, du grave, de la vérité et de la beauté, du camouflé et du manifeste dans ces zines : on ne se tromperait pas, il s’y trouve. Mais il faut être plus de deux pour que ce genre de choses existe, beaucoup plus qu’un « auteur » et qu’un « lecteur » autour de ces zines, qu’ils aient été fabriqués dans des hôpitaux ou en dehors d’eux, dans des domiciles ou des locaux de rencontres. De la politique s’y fait toujours, elle en est aussi sans doute toujours à l’origine, à toutes ses échelles. Et c’est pourquoi retracer un peu l’histoire des zines d’antipsychiatrie, entre le XXème siècle et aujourd’hui, c’est nécessairement se demander quels types de communautés ces zines produisent, à la fois dans l’étrangeté et le respect des temps et des espaces, et au travers ces temps et espaces, tout le long d’eux. Nous sommes aussi dans les zines des années 1970, comme nous serons dans ceux des années qui viennent.

Il ne s’y trouverait que du « nous », du commun, dans ces zines, qui sont pourtant d’antipsychiatrie ou critiques de la psychiatrie ? Comment pourrait-il n’y avoir que du commun, ou même d’abord du commun, alors que ce que ces zines ont de minoritaire, de fragile, de précaire, vient de toute une série de refus et de dénonciations ? C’est que tous les zines d’antipsy contestent, mais s’ils contestent, c’est aussi de manière très pragmatique. Pas seulement par le refus ou le contre-argument solitaires qu’il a fallu formuler malgré les risques d’échecs ou de représailles, parce qu’il n’était pas question de faire autrement. Ils contestent par une expression, une production, une transmission, qui s’adressent nécessairement à une pluralité d’autres et, parmi eux, à des alliés.

Faire ainsi une brève histoire des zines d’antipsy n’est pas faire l’histoire d’une trace, qui appellerait autre chose qu’elle pour prendre corps, chair, sens et puissance aujourd’hui. Il s’agit de remettre sans cesse côte à côte, par cette histoire et ses citations, ce qui pourrait ne pas l’être, à cause des bruits environnants et de la croyance que les bêtes fracas contemporains n’ont jamais eu de répliques. Il s’agit de coexister avec des témoignages, des politiques et des communautés.

   

Témoignages

Les zines d’antipsychiatrie sont d’abord matériellement un peu particuliers - y compris lorsqu’ils existent sous forme numérique. Cette particularité vient du fait qu’il s’agit, peut-être avant tout, de témoignages. Celles et ceux qui écrivent, dessinent, prêtent leurs photos en participant à un zine font un acte de parole, d’écriture, qui va bien au-delà de la seule expression et/ou de la performance. Il leur faut aussi se déplacer, s’assembler, discuter, collaborer - on ne trouve pas de zine d’antipsy qui ait été fait par une seule personne. L’Autre Zine, fabriqué au cours d’un atelier en Belgique, mené dans l’Autre Lieu, en est exemplaire, tant par les collaborations et les accords multiples qui permettent sa production que par ses contenus - artistiques, réflexifs, critiques, dont les techniques d’élaboration ont varié en fonction des circonstances, allant des collages scannés à des pages intégralement numériques durant les confinements instaurés pendant l’épidémie de Covid1. Dans les années 1970, l’AERLIP mêle pages reproduction de pages manuscrites et passages dactylographiés, sans doute en fonction des matériels disponibles pour les rédacteurs et/ou des temps dont ils disposent (le numéro 2 fut par exemple fait en deux jours)2. Et les volontés, qui font que les zines existent, sont aussi celles qui cherchent à faire que leurs actes soient enregistrés, conservés, circulent, au prix d’une multitude d’efforts qui engagent tout autant les corps que les esprits, dans beaucoup de tâches qui ne consistent pas, ou pas seulement, à dire ce que l’on pense(rait). Les appels à l’aide financière sont nombreux, et se trouvent quasiment toujours, malheureusement, à la fin des derniers numéros disponibles.

La volonté de témoignage est le sang des zines. Elle les lie tous, aussi, à une forme de précarité. S’il faut témoigner, s’il faut faire un zine, c’est qu’il y a des difficultés - elles rôdent, elles reviennent, même si elles peuvent ne plus être présentes. L’urgence n’est pas forcément de mise. Les publications peuvent suivre une périodicité régulière, parfois serrée, et sur plusieurs années en enjambant des décennies. On compte par exemple 9 numéros de l’AERLIP de fin 1974 à septembre 1975 , et Mise à Pied a duré de 1977 à 1984 (29 numéros). Mais c’est parce que l’urgence n’est pas forcément liée à la précarité. Celle-ci peut prendre son temps, s’installer. Son trait typique est que les choses peuvent toujours être interrompues à l’improviste ou reprendre, de manière tout aussi inattendue. Et tel est bien ce qui se passe avec la plupart des zines d’antipsy, qui donne forme à leur absence ou à leur disparition mais aussi, et c’est tout aussi important, à leurs existences et à leurs présences.

Les numéros manquent parfois, faute de conservateurs ou au moins de numérisateurs (on ne trouve ainsi qu’un seul numéro de Marge, le numéro 63), les équipes rédactionnelles varient, le nombre de pages, idem, les réseaux de diffusion sont informels et tout aussi fragiles que ce qu’ils diffusent.

Mais parce que ces réseaux et ces journaux se savent précaires, ils sont aussi particulièrement actifs, et attentifs à être gardés dans les esprits, des serveurs, sur des étagères, celles de quelques hôpitaux, domiciles, parfois fanzinothèques, ou même celles de la BNF. Bien que Sans Remède soit depuis son numéro 5 de 2014 inactif, l’intégralité de ses numéros a été rendu disponible sur un site dédié4. On voit par exemple que c’est tout d’un coup, avec un projet délibéré de la part de qui l’a fait, que les exemplaires de l’AERLIP ont été enregistrés à la BNF le 19 novembre 75 après un dépôt d’un seul bloc des numéros, alors que cette revue existait depuis fin 1974.

Le contenu des zines vient aussi en grande partie de cette précarité. Qui témoigne a conscience sans doute de la fragilité matérielle de son témoignage, n’ignore pas non plus, probablement, la fragilité qui tient à la particularité de son témoignage. D’autres témoins pourront dire des choses différentes, voire complètement opposées. Ces fragilités expliquent peut-être l’intensité de toutes les pages de ces zines. Il faut faire clair, et bref. On s’efforce de formaliser les choses, pour les rendre compréhensibles, mais pas seulement, belles aussi, et pour les singulariser également. Celles et ceux qui s’expriment dans ces zines n’ont pas forcément le désir de redire ce qu’ils disent. Il faut le dire une fois pour toutes, parce que c’est fondamental et/ou difficile à dire.

 

« Quand je dis que c’est le bordel, ça veut dire que j’ai perdu la connexion avec la réalité communément partagée. Ça veut aussi dire que je panique, que j’ai peur. Je suis angoissé, a en devenir parfois paranoïaque. Souvent, c’est quand j’ai dépensé plus d’énergie que j’en avais, que je me suis forcé à faire trop de chose, à passer trop de temps avec des gen.te.s ou que je me suis retrouvé dans une situation trop stressante ou émotionnelle. Étant donné que j’ai du mal a comprendre et donc assimiler les émotions, j’ai du mal à dealer avec. Elles me stressent et me prennent beaucoup d’énergie. Mais comme je suis aussi très sensible, j’ai tendance à absorber celles des autres, alors que j’ai déjà bien du boulot avec les miennes…

Dans ce genre de moments j’ai besoin de me poser dans un endroit calme, sans personne, sans bruit ni lumière, de me rouler en boule et d’attendre que ça passe. Mais des fois tout ça ne suffit pas. J’ai parfois besoin de m’exprimer. Souvent, ce qui est créatif sers de moyen d’expression, et d’exorcisme pour les motions. Beaucoup font de la musique, moi je suis plus à l’aise avec le fait de créer des choses visuelles. Et si je n’y arrive pas, trier des choses, genre des perles de couleurs différentes, des vis, des épices, bref tous ces qui me passe sous la main. Ou encore faire une captivité qui me demande toute ma concentration, style sudoku. En général ça me calme assez rapidement et efficacement. Et si j’ai vraiment besoin de sortir de la réalité, je crée des personnages, si j’en ai l’énergie et les moyens je leur fais une fiche et je me déguise, puis je les incarne. Ainsi, je ne suis plus moi mais tout ce qui m’arrive arrive à quelqu’un d’autre, au personnage en question. Et si je n’ai pas l’énergie de faire ça, il me reste Harry Potter. J’en entends certains rire d’ici, mais ce n’est pas une blague, c’est très sérieux. Harry Potter a vraiment été pour moi a maintes reprises le moyen de fuir une réalité trop difficile à vivre sur le moment »5.

 

Les zines d’antipsychiatrie sont, pour cette raison, toujours liés à l’actualité de la psychiatrie et des personnes qui s’y trouvent. Bien sûr, parce qu’ils ont un rôle d’alerte, de communication, de transformation politique - on va y revenir. Mais aussi parce qu’ils sont animés par le but de faire œuvre ou de faire présence pour qui y écrit. Ces zines sont pluriels de fait, tissés par la factualité multiple des personnes qui y travaillent, on y trouve de tout, comme le sont les existences qui veulent y être présentes. Et ils sont chargés d’affects, car c’est par les affects que nous agissons et que nous sommes présents : affects de joie, de colère, de compréhension…, qui apparaissent d’autant plus lorsqu’on circule dans ces zines d’un zine à l’autre. Ils ne forment ni une thèse, ni une bibliothèque. En les agrégeant ou en les considérant comme un tout, on en perdrait une bonne part. Ils ne se prêtent pas à l’armée : ni à un point de vue général, ni aux défilés. Chacun des actes d’expression qui les constitue est chargé d’une volonté d’expression intense, complexe aussi, qui incite à s’y arrêter et/ou à continuer ailleurs, mais sans jamais faire synthèse. Mise à Pied publie ainsi de nombreux courriers que le zine reçoit dans ses numéros, publication qu’il considère comme sa première raison d’être, en en expliquanr les motifs comme les procédés :

 

« REMARQUE SUR LA PUBLICATION DES TEXTES DE PSYCHIATRISÉS (ou de non psychiatrisés)

Mise a Pied a pour première raison de sa parution la publication de textes de psychiatrisés.

A la réception d’un texte à publier, d’une information ou correspondance, nous nous permettons de nous poser la question : cela a-t’il un intérêt pour nos lecteurs, faut-il en publier la totalité ou une partie, quels renseignement trop : indiscret faut-il supprimer et si nous publions tout, quel en est le prix ? (La page revenant en gros a 250 F.)

Nous n’avons jamais hésité à publier intégralement tout texte dont l’intérêt était certain ou qui avait valeur de témoignage (cela se sent). Par contre, des textes dont la forme était par trop illisible, ou outrés, en même temps que ne nous apportant aucun élément valable dans la critique de la psychiatrie, sont restés non publiés malgré la demande implicite ou directe de nos correspondants.

« Nous pouvons citer ici des noms, déjà dans le public, […] , tous destinataires de MAP. Ce ne sont pas leur cas ou leur personne qui sont en cause, mais bien la relation de leurs nombreux écrits avec le journal. Nous dire que la justice est pourrie, cela nous le savons, et nous préférons que leurs textes paraissent dans des feuilles critiquant spécialement la justice. »6

 

Les affects, qui sont autant de réponses aux difficultés et à la précarité et qui innervent les formes plutôt brèves et toujours travaillées qu’on trouve dans ces zines, font aussi d’elles - ces œuvres de textes, d’images, de photos, de correspondances - autant de gestes, avec tout ce que les gestes peuvent avoir d’ambigu. Bouger suppose que l’on ose, que l’on fait. Mais à partir d’un geste, on ne voit ni tout le corps, ni tout ce que le geste aurait pu être, ce que ses suites n’ont peut-être pas été, faute de lieu, d’espace, de temps, de forces, par timidité, prudence, demande, attente, et toutes ces choses qui sont le commun de la vie et encore plus du côtoiement de la psychiatrie. C’est pourquoi, aux côtés de l’évidence et de la vitalité avec lesquelles les choses sont dites dans ces zines, il arrive souvent - ou il doit arriver souvent - que des choses soient en réserve. Non pas qu’il y ait un calibrage de chargé de communication, mais parce que gestes - et témoignages - sont aussi un appel à d’autres gestes, d’autres personnes, et ne prétendent jamais être complets, parce que c’est impossible, la plupart du temps, sinon toujours. On bouge pour altérer, pour aller ailleurs, mais la plupart du temps on ne peut y arriver complètement ni d’un coup, ni seul, ce pourquoi on garde aussi quelques forces pour soi, pour d’autres mouvements éventuels.

On peut le dire autrement, bien que ça ne résume pas tout : dans les zines il y a toujours des luttes qui se font - entre autres - par les zines. Ce qui s’y expose est à la fois ce qu’on défend, ce qui s’y défend, et ce qui défend - les choses auxquelles on tient, les personnes ou les collectifs que l’on est, et les oppressions. Lorsqu’une part d’intime s’y montre en public, c’est alors pour que sa valeur, parce qu’elle a été bafouée, soit reconnue, c’est-à-dire aussi, dans un même mouvement et pour le même motif, pour que cet intime puisse, grâce à ce que l’on en montre aujourd’hui, rester intime demain, tandis que l’on ne veut pas tout en montrer, que l’on admet pas que l’on puisse vouloir tout en voir.

 

«l’HP n’est jamais loin” *a dit l’un-e de nous, on le sent : par
ce qu’on s’interdit de faire comme écart public, ce qu’on contient, par la peur, et par la répression immédiate quand on dépasse les bornes. On n’est pas égaux devant la psychiatrie, que ce soit par le genre, l’entourage, la culture, l’âge, l’origine sociale… Il y a des luttes à mener, différenciées et à inventer sur différents modes»7.*

 

Il en va peut-être des témoignages des zines comme de tous les témoignages : ils sont ce par quoi l’on voudrait que ce dont on témoigne cesse, par abolition ou par transformation. Pour cette raison, les témoignages sont un appel à un tiers comme auxiliaire, allié, et pas (seulement) comme juge. Et ces tiers, témoins des témoignages, lecteurs des zines, auraient tort d’y rechercher ou d’y vouloir une réalité complète, figée, comme un échantillon brut qui « permettrait de savoir ». Ce qui s’y donne à lire, c’est un échange, avec tout ce qu’un échange peut avoir de partiel et révéler, en creux, ce à quoi on tient parce qu’on ne l’a plus, parce qu’on risque de le perdre, parce qu’on voudrait le récupérer. Il y a dans ces zines toujours du plein, de l’expressivité, des affects, de la fierté, et toujours de l’empêchement, de l’insécurité. Tout cela mêlé en attente de devenir et en cours de devenir, par les autres : en vue d’une politisation ou d’une politique qui n’est pas qu’institutionnelle.

   

Politiques

Si les zines d’antipsychiatrie ou de critique de la psychiatrie sont politiques, c’est encore pour des motifs matériels et de sens, ces deux plans étant indissociables, comme ils le sont pour les actes de témoignage.

Il y a politique, d’abord parce qu’il faut les moyens de faire un zine : papier, encre, presse, imprimante, diffusion, stockage. Il en faut, des fournisseurs, et il faut s’entendre avec eux. Un zine est aussi un acte de lien et un moyen de se lier. De ce point de vue, les liens peuvent être (évidemment) de plusieurs types, d’envergure variable, entre des instances différentes, aux valeurs ou aux effets distincts. Il y a des zines destinés à être diffusés à l’extérieur des établissements psychiatriques, et d’autres qui n’ont pas vocation à en sortir. Suivant ces cas, les collectifs qui les produisent tout comme ceux qui y écrivent ne sont assurément pas les mêmes. Ce qui s’est fait à Saint-Alban au début du XXème siècle en est exemplaire. Il a fallu avoir l’idée, au croisement du marxisme et de la psychiatrie, d’y imprimer des journaux, et il n’y en eut pas un, mais deux, l’un qui ne circulait qu’à l’intérieur de l’asile (Trait d’Union), l’autre qui circulait au dehors (Le Chemin), suivant deux perspectives politiques et thérapeutiques complémentaires, mais non pas interchangeables8. Des nombreux zines internes ou du moins adossés à des établissements hospitaliers existent toujours, parfois depuis des décennies, imprimés et fabriqués avec les moyens du bord, dont Les Nouvelles Labordiennes fait à la clinique de La Borde, le Moulin à Parole au Service d’accueil de Jour de Stains ou encore Le Journal du Vendredi pour l’hôpital de jour de Bondy.

La politisation des zines existe au moins à trois échelles, chacune avec ses matérialités propres : avec les fabricants des zines et l’équipe qu’ils constituent, l’équipe de rédaction au sens large ; avec le champ de la psychiatrie, dans lequel les zines d’antipsychiatrie cherchent spécifiquement à intervenir ; avec le domaine de la politique en son sens le plus étendu, parce qu’il s’agit - au minimum - de le mobiliser pour que la psychiatrie change, et surtout parce que c’est à partir de lui que la psychiatrie fait elle-même l’objet de lectures symptomatiques, diagnostiques et thérapeutiques - que dit la psychiatrie d’une société, qu’est-ce qui ne va pas chez elle, qu’y faire ? Et pourquoi pas sans la psychiatrie, dans une autre société ?

De cela, trois zines sont emblématiques, Mise à Pied, Gardes-fous et Tankonalasanté. En dehors des zines produits à partir de certains hôpitaux, qui existent parfois depuis des décennies mais dont la diffusion est le plus souvent confidentielle, ces trois zines d’antipsychiatrie sont ceux qui ont existé le plus longtemps et dont le plus de numéros ont paru. Il y eut 29 numéros de Mise à pied entre 1977 et 1984, 18 numéros de Tankonalasanté (du n°1 au 19-20), parus entre février 1973 et le 2ème trimestre 1976, et 8 numéros de Gardes Fous entre 1974 et 1978. Tous trois furent consacrés à la psychiatrie et à sa critique. Mais des sujets plus larges relatifs à la santé et au social y furent aussi traités, en particulier dans Tankonalasanté qui avait pour thème la médecine en général et qui relayait les GIS (Groupes Information Santé)9. La dépénalisation de l’avortement y fut un sujet majeur, traité dans la plupart des numéros. Au-delà, c’est de la politique la plus générale dont il était question. L’un de ces zines, Gardes Fous, était explicitement lié à la LCR, Tankonalasanté aux groupes plus ou moins institués des années 1970, ce qui a sans doute assuré aux deux leur pérennité, en garantissant notamment une stabilité des équipes et des moyens. Tankonalasanté a, par exemple, publié un volume d’articles chez Maspero en 1975, tandis que le hors série de Gardes Fous consacrés à l’international fut tiré, selon les rédacteurs, à 4000 exemplaires10. C’étaient aussi des médecins, psychiatres et psychanalystes qui étaient aux commandes de ces deux zines, dont certains (Bernard de Fréminville) participèrent au deux.

La rédaction de Mise à Pied fut par contre assurée par des psychiatrisés, ce qui explique peut-être qu’il dura le plus longtemps, parce qu’il faisait avant tout de la politique à partir de la psychiatrie comme expérience, et non de la psychiatrie à partir d’une critique politique. Il s’efforçait de lier différents groupes. On peut lire par exemple au tout début du n°7 :

 

«Ce numéro spécial n’a été possible que grâce aux luttes, à l’information et à la réflexion de trois groupes de lutte contre la psychiatrie :

Le CEPP de Tours, le GIA Paris et le GIA Toulouse, eux-mêmes liés à tous les autres groupes et personnes, si techniquement il est mis en place par Toulouse, il s’agit bien d’une ACTION COMMUNE contre la psychiatrie. »11

 

Il n’y a pas de politique sans conflit et sans actualité, ce qui fait de ces zines de formidables archives pour retrouver et retracer les luttes passées, avec leurs protagonistes et les détails des événements, souvent oubliés. On peut ainsi trouver l’archive de l’opposition de 10000 médecins à l’avortement selon le Parisien, tandis que 630 s’étaient publiquement déclarés pour, en juillet-août 1973, dans le numéro 3 de Tankonalasanté. La conflictualité ne manque pas, chargée d’affects et très militante dans les formules choisies - dont le « Pourriture de psychiatrie » qui barre en majuscules noires le numéro 6 de Marge - mais aussi dans les faits relatés - un mouvement de malades à Maison Blanche et un licenciement d’infirmier relatés dans Gardes Fous12, par exemple. Les affrontements peuvent également prendre des formes plus formellement institutionnelles, où les zines sont des instruments essentiels. L’AERLIP, comme l’indique son titre développé, Association pour l’Étude et la Rédaction du Livre Blanc des Institutions Psychiatriques, fut un support quasi syndical, en tous cas à vocation unitaire, des infirmiers de la psychiatrie au début des années 1970, à la suite d’un conflit avec les médecins psychiatres, dont Daumézon, lors des préparatifs du 72ème congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française13. Enfin, les luttes au sujet de la psychiatrie sont facilement reliées à la politique nationale et internationale. Le numéro 3 de Gardes Fous consacra par exemple des articles sur les usages répressifs de la psychiatrie en Allemagne et en Argentine14.

Toutes ces perspectives quasiment thématiques sur les zines d’antipsychiatrie sont trompeuses, si on se laisse prendre à la fausse évidence des stratifications qu’elles proposent - communauté politique réduite, militante, politique de la psychiatrie, institutionnelle, politique générale, nationale et internationale.

Des dynamiques en réalité non schématisables sont mises en œuvre, dont aucun diagramme sans doute ne peut donner la matrice ou l’idée adéquates. Des alliances se font, des élaborations sont sans cesse tentées, les modifications des idées et des pratiques sont mutuelles, où chaque exemple offre un cas de figure singulier.

Dans le premier numéro de Mise à Pied, un sondage du GIA (Groupe Information Asile) est ainsi proposé, diffusé par une antenne du GIA de Toulouse, où se trouvait l’adresse officielle du journal, destiné à être envoyé au journal principal du GIA, Psychiatrisés en lutte, à la suite d’un texte des infirmiers psychiatriques imprimé précédemment dans l’AERLIP et repris dans Mise à Pied15. Le GIA collabore à l’époque avec Gardes-Fous (des numéros 1 à 4). Y sont discutés par les psychiatres proches de la LCR les propos que Foucault prononce au même moment au Collège de France dans le cours qu’il a alors intitulé Le pouvoir psychiatrique, tandis qu’il est aussi question dans les pages du zine de faire alliance avec d’autres groupes politiques considérés comme gauchistes, à l’occasion de rencontres à Gourgas16. Le GIA est à son tour critiqué dans Tankonalasanté, dans un autre manifeste, celui de l’ARM (Association contre la répression médico-policière), à cause de l’absence de malades dans certaines de ces antennes17. Invention, pragmatisme et calculs politiques sont incessants. Radicalité et réflexivité, pratique et pragmatisme vont ensemble. De manière frappante, le numéro 6 de Marges, barré du titre « Pourriture de psychiatrie », comporte également une réflexion sur les difficultés et les conditions d’exercice du métier d’infirmier, tout en relayant le texte constitutif du réseau Alternatives à la psychiatrie, dont des psychiatres faisaient partie.

Ce texte est reproduit dans d’autres zines de l’époque (dans le n°3 de Mise à Pied par exemple), et un volume du réseau Alternatives à la psychiatrie paraîtra quelques temps plus tard aux éditions UGE-10/1818 : symbole peut-être du rôle de bulletin de transmission, d’actualité, de liaison, de réflexion et de formation que les zines d’antipsy peuvent avoir. Que toutes ces activités puissent participer à un livre édité n’est cependant qu’un symbole. Bien d’autres choses communes et politiques ont été produites dont, autre exemple, la « Charte des internés », qui fut effectivement préparée dans certains de ces zines, puis reproduite dans beaucoup d’entre eux, dont certains n’avaient cependant pas la psychiatrie comme préoccupation générale - mais bien les questions d’internement institutionnels, comme le Comité de Lutte des Handicapés qui éditait Handicapés Méchants. Cette charte se trouve fin 1975 dans Marge, Gardes fous (où elle se trouve reproduite dans les numéros 6, 7 et 8), Handicapés Méchants, l’AERLIP, on en trouve dans les différents zines de l’époque des traces préparatoires, comme dans Psychiatrisés en lutte dans son numéro 1 de février-avril 1975. On peut par exemple y lire ceci :

 

« CONCERNANT NOTRE SÉJOUR à L’HÔPITAL, NOUS EXIGEONS :

4. L’abolition de l’envoi de renseignements aux préfectures qui les retransmettent aux commissariats, ainsi que la destruction du fichier de polices des aliénés dits « dangereux ».

5. L’affichage dans chaque chambre des règlements intérieurs et des droits des internés,

6. Le droit pour tout interné de consulter à tout moment son dossier comme de le sortir, lui permettant entre autres choses d’appeler en justice,

7. Que soit appliquée la circulaire ministérielle n° 1796 de Jacques Baudouin du 20 avril 1973 dans laquelle il est dit que : « …le secret n’est pas opposable au malade dans l’intérêt duquel il est institué ; ce dernier peut donc soit se faire remettre tout ou partie de son dossier médical ou le communiquer directement au médecin de son choix ainsi qu’à des tiers ; il peut notamment décider de produire ce dossier en justice s’il le désire. La jurisprudence de la Cour de Cassation et du Conseil d’état concourent sur ce point »,

8. Le droit de refus de la désignation administrative du lieu d’hospitalisation et du médecin traitant ».

 

Cette charte est un véritable acte politique, qui énonce des droits. Et en cela, elle est à la fois une archive, une contestation, et l’affirmation toujours actuelle d’une communauté ou d’un commun et pas seulement de problèmes intemporels - elle est également reproduite dans le n°5 de Sans Remède en 201419. Cette communauté et ce commun sont sans innocence mais bien réels, où ces zines permettent de mieux comprendre, avec toutes les peines et les joies qu’ils contiennent, ce que peut bien vouloir dire commun, et ce que ça peut faire.

   

Communautés

Chaque zine d’antipsy se fabrique, tout comme les communautés plus ou moins étendues, plus ou moins étroitement attachées à cette fabrication. Qu’il soit alors possible de parcourir les zines comme un ensemble fait alors osciller, doucement mais sûrement, entre plusieurs idées. Celle d’une communauté de tous ces zines par delà les temps et les espaces - il y a beaucoup de choses étonnamment en partage malgré les décennies qui séparent parfois ces témoignages. Celle de communautés partielles, plus ou moins serrées, plus ou moins possibles, autour de certaines positions - il y a clairement des désaccords entre ceux qui veut abolir la psychiatrie et qui veut la réformer. Troisième idée, celle d’antagonismes et de luttes déclarées - contre telle perspective sur la folie, telle politique, tel hôpital, tel directeur.

De ces idées, la plus pertinente est sans doute celle de communautés partielles. En effet, les zines d’antipsychiatrie ont tous en partage la volonté d’une amélioration du sort de celles et ceux qui se confrontent à la psychiatrie (communauté positive la plus large), mais par des critiques multiples de la psychiatrie (communautés négatives plus étroites), en lien avec tout ce qui entoure ces zines (communauté politique au sens général). Un problème est absolument partagé et il ne change pas, tandis que les luttes varient et se modifient dans le temps.

De ce point de vue, une des surprises de l’histoire collective de ces zines, est qu’ils ne furent pas toujours présents, c’est-à-dire pas toujours des éléments de problématisation ou de solution. On trouve de nombreux zines d’antipsychiatrie dans les années 1970, ils se raréfient à la fin de la décennie et disparaissent au début des années 1980.

Les années 1979 sont l’époque d’une politisation générale de la psychiatrie, où la situation de celle-ci sert toujours à diagnostiquer des problèmes politiques qui la débordent et l’enveloppent, de telle sorte que, après avoir été un lieu de diagnostic, on en appelle à sa transformation ou à sa disparition. Tous les journaux de cette époque présentent (ou recherchent) une conception systématique de l’antipsychiatrie, sans cesse discutée d’un texte à l’autre ou d’un zine à l’autre. On peut distinguer schématiquement trois grands courants : l’antipsychiatrie anglo-saxonne de Cooper et Laing, pour laquelle les maladies psychiatriques ne sont que des pathologisations factices et injustifiées de problèmes socio-familiaux ; l’antipsychiatrie italienne, dont Basaglia est le représentant le plus connu, pour laquelle il est possible qu’il y ait des maladies mentales, mais pas que la psychiatrie asilaire soigne celles-ci, puisque les asiles ne font que reproduire ce qui les a provoquées ; la psychothérapie institutionnelle française, qui vise à transformer les institutions psychiatriques pour soigner, et éventuellement guérir, les personnes psychiquement souffrantes, dont les cliniques de Saint-Alban et de la Borde sont les lieux de mise en œuvre et d’élaboration les plus célèbres. Abolir la psychiatrie, l’asile, ou transformer l’asile : les discussions, parfois très élaborées et globalisantes, des zines des années 1970 portent là-dessus.

Les zines qui se font le relais de ces discussions disparaissent autour des années 1980. Et ils ne semblent pas remplacés. On n’en trouve ni dans les bibliothèques, ni dans les fanzinothèques spécialisées, aucune numérisation n’en fournit la trace sur le net. Une recherche dans le catalogue en ligne de la fanzinothèque de Poitiers ne semble donner accès qu’à 5 références de zines d’antipsy, dont deux des années 1970 et deux des années 2020 20. Cette disparition, si elle est vraie, car on ne peut jamais démontrer avec certitude que quelque chose n’existe pas, manifeste paradoxalement le lien ambigu de la psychiatrie et de l’antipsychiatrie, en mettant en pleine lumière leurs liens avec des conditions institutionnelles et des conditions politiques d’exercice très larges, et pas uniquement psychiatriques. Deux hypothèses sont en effet envisageables pour expliquer cette abssence de zines : celle d’une dépolitisation généralisée des années 1980-1990 ou peut-être pire, d’une mauvaise politisation21 (mais la psychiatrie n’est-elle pas une médecine et pas une politique ?), et celle d’une amélioration psychiatrique des traitements au cours de la même époque, qui voit le secteur s’étendre (mais certains problèmes majeurs de la psychiatrie, l’enfermement, la contrainte, les chimiothérapies, n’étaient-ils pas encore présents ?). Quoi qu’il en soit, quelque chose semble avoir joué dans les années 1980-1990 à l’intersection du politique et du psychiatrique, de telle sorte que les lieux de problématisation, de contestation et de transmission qu’étaient les zines ne semblent plus avoir été utiles. D’autres possibilités semblaient devoir être mises en œuvre - le droit ? l’associatif ? les médias à grande diffusion ?, il faudrait savoir plus précisément lesquelles, aussi en comparant avec d’autres luttes, comme celles du GITSI22, mais il semblerait que la voie judiciaire ait été privilégiée par les mouvements qui existaient encore dans les années 1980 - mouvements de psychiatrisés constitués en GIA23.

À cet égard, les années 2000 fournissent une contre-épreuve, une contre-expérience, qui confirme les liens étroits entre antipsychiatrie, psychiatrie, politique et existence des zines. C’est autour de 2010 que les zines d’antipsy réapparaissent, notamment avec Sans Remèdes. Il est difficile de ne pas y voir l’effet des réformes de la psychiatrie d’alors, en lien avec une politique plus générale d’extension et de renforcement de l’ordre et des techniques policiers, contre quoi de nombreux collectifs se sont formés, dont le Collectif des 3924. Cette politique fut annoncée par Nicolas Sarkozy, alors président de la République en liberté totale, dans son discours d’Antony du 2 décembre 2008, « sur la réforme de l’hôpital psychiatrique, notamment la prise en charge des patients à risque »25. Elle s’est incarnée dans la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011.

Ce n’est toutefois pas que négativement, ou par réaction, que les zines d’antipsychiatrie appartiennent au politique en son sens le plus large. Car la production des années 2010 ne ressuscite pas, tels quels, les luttes et débats des années 1970 même si la connaissance en est restée - les zines des années 1970 sont, entre autres, rendus disponibles sur différentes plates-formes du net pour qu’on puisse s’en nourrir26. D’autres manières de poser les problèmes, et donc de résoudre certaines questions, sont élaborées, comme toujours à l’intersection du psychiatrique et du politique, sans qu’on sache jamais lequel est coupé par l’autre et lequel coupe l’autre. Certains types de traitements se sont modifiés, et ainsi le rapport à eux27, l’idée de handicap (psychique) s’est imposée pour réfléchir aux souffrances mentales et, avec elle, d’autres notions comme celle de rétablissement, la non-mixité ou les perspectives intersectionnelles sont aussi au travail.

 

« Dans ce numéro, nous vous parlerons de pair-aidance et d’auto-support, de nouvelles approches thérapeutiques basées sur le rétablissement et l’Open Dialogue. Nous essayerons de trouver du sens aux épisodes psychotiques avec le REV (Réseau sur l’entente de voix). Nous vous parlerons aussi de la double peine que constitue la folie et la précarité mais aussi de domination masculine au sein des hôpitaux psychiatriques »28.

 

Retracer rapidement cette histoire des zines d’antipsychiatrie, toujours pris dans des communautés de notions et de problèmes dont ils s’emparent sans en être totalement indépendants, n’est pas faire d’eux des objets du passé, des reliques de musée, en un mot des témoignages du passé - où ce qui s’est dit semble surtout servir à montrer que ça ne se dit plus, que ça prouve bien qu’il y a un passé et qu’on s’en sort toujours.

Au contraire. S’il y a du commun, ce n’est pas par époques, par tranches de présents, par identités d’opinions. Ce qu’on peut saisir dans les zines d’antipsy de 2020 comme de 1970, ce sont ou c’est tout un ensemble de possibles. Non pas des exemples, car ce qui s’y dit ou qui s’y exprime n’a pas vocation à illustrer quoi que ce soit, théories ou problèmes. Bel et bien des possibles : plus ou moins partagés, plus ou moins repris, mais qui ne font partie d’aucun système ou qui ne s’expliquent jamais tout à fait par les conditions de leur naissance. Parce qu’il s’agit, encore une fois, de témoignages, chargés d’affects et de réflexion, en cela toujours vivants. Tout comme le commun qu’ils produisent et qui les produit fait qu’ils ne sont jamais étrangers, il fait qu’ils ne sont jamais passés. On y existe toujours, avec la même question à chaque fois : de ce témoignage possible, que faisons-nous de ce qu’il produit et de ce qui l’a produit ?

On pourrait croire les zines d’aujourd’hui plus modérés, moins clivants que ceux des années 1970, à cause de ce qui serait à la fois un certain pragmatisme et une attention à reconnaître le multiple comme tel, sans recherche de systématicité. C’est sans aucun doute une erreur : la violence, l’affectif et des choix politiques tranchés s’y trouvent toujours, comme le dit très clairement l’édito - petit à petit fixé et systématiquement repris dans chacun des numéros - de Sans remède.

 

« SanS remède est un journal sur le pouvoir psychiatrique et la médicalisation et l’administration de nos vies, alimenté par des vécus, des confrontations et des points de vue, dans une perspective critique.

SanS remède ne reprend pas à son compte les termes de malade, d’usager, de soigné. Nous sommes des individu.es avec leurs histoires, leurs aliénations, leurs contradictions, leurs souffrances, leurs plaisirs, leurs combats, irréductibles à des symptômes». […]

SanS remède n’est pas qu’un journal papier, c’est aussi une tentative, avec les moyens du bord, de s’organiser ensemble pour éviter le plus possible d’avoir recours à l’institution. SanS remède ne laisse pas de tribune aux membres de l’institution médicale, car d’autres moyens d’expression sont à leur disposition, au service de ce pouvoir »29.

 

La reconnaissance ne s’est pas non plus substituée à des projets de transformation politique plus abstraits, plus larges et qui auraient été plus conscients de ce que collectif signifie. La question est bien, toujours, celle de possibilités de communautés, sans demande d’identité, mais pour de nouvelles pratiques ensemble.

 

« Je voudrais que vous évitiez de m’attribuer la responsabilité de mes galères ou de mes sabotages, car un cerveau traumatisé fait des choix traumatisés. Un cerveau traumatisé a perdu sa liberté de disposer de sa volonté en continu ».

« Je voudrais que vous renonciez à me demander ce qui m’angoisse, car mon angoisse est sans objet, ni crise de panique. Je suis en permanence en proie avec une énergie frénétique et débordante qui me pousse à faire, agir, intellectualiser plus vite que la peur et m’empêche de me relaxer ».

« Je voudrais que vous m’appreniez à apporter de l’espace respiratoire et de la compassion à mes émotionsnégatives, sans me demander de lesgérerou de les rendrepositives. Une émotion n’est ni bonne, ni mauvaise. C’est un fait brut. Les moraliser est certes un business très lucratif, mais une imposture faite au vivant. Même les plantes se laissent crever dans un environnement toxique »30.

 

Possibilités et communauté, toujours et au moins partielles, y compris lorsqu’on parcourt les zines du passé. Ils appartiennent à leur temps, tout comme ceux d’aujourd’hui. C’est le signe le plus flagrant de leur absence d’étrangeté, qui passe, de manière flagrante aussi, par leur partage des esthétiques de leurs époques respectives - les illustrations des zines des années 1970 évoquent irrésistiblement Bilal et Christin, et la chasse au Snark serait de savoir ce que ces illustrations, Bilal et Christin, évoquent ensemble. Mais appartenant à leur temps, ils ne sont néanmoins pas passés comme un train qui aurait disparu, laissant la place au suivant, avec éventuellement de nouvelles technologies, passant de la vapeur au TGV. D’abord parce qu’on se rappelle de ce qu’ils disent, d’autant plus qu’il y a toujours du chant dans ce qu’ils disent :

 

« La soupe Lacan-Deleuze-Guattari à l’insuline ordinaire plat du chef

ou de la théorie des flux

en passant par la théorie lacanienne

allant vers presque toujours la même chose

en institution psychiatrique »31

 

Et puis parce que la question se pose toujours de la position de chacun et de la manière dont les positions se modifient réciproquement dans un espace et un temps nécessairement communs, quels que soient leurs ampleurs, bien qu’on n’y occupe jamais, nécessairement aussi, les mêmes places. De cela les zines sont l’inlassable géographie, toujours du même monde.

 

« Je voudrais que vous m’appreniez à apporter de l’espace respiratoire et de la compassion à mes émotionsnégatives, sans me demander de lesgérerou de les rendrepositives. Une émotion n’est ni bonne, ni mauvaise. C’est un fait brut. Les moraliser est certes un business très lucratif, mais une imposture faite au vivant. Même les plantes se laissent crever dans un environnement toxique »….

« anny sort de la salle et furieuse me dit

mais enfin ils ont truqué les élections

elle essait [sic] les jours suivants de rassembler un groupe

y arrive

nouvelle égérie révolutionnaire

un groupe de parole, elle dit pour faire institutionnelle

une constellation s’est formée, on dit en réunion thérapeutique

les constellations c’est des groupes de gens qui s’aiment bien

et qui se rencontrent en marge des structures de l’institution

  

quand il y a une constellation, c’est grave

constellation de soignants ou de fous

ça se disperse au nom du désir de mort

  

elle rechute elle va sortir elle rechute elle va sortir ou il faut la traiter

décision thérapeutique

il faut disperser la constellation

les agents se retrouvent agents de la circulation fluidique »32

   

Stéphane Zygart

 


 

Sites et ressources en ligne à consulter :

 

https://www.zinzinzine.net/

https://archivesautonomies.org/

http://cras31.info/

https://soinsoin.fr/

https://infokiosques.net/antipsychiatrie


  1. Pour le dernier numéro en date paru, voir https://www.autrelieu.be/publications-productions/autrezine5/↩︎

  2. AERLIP n°2, novembre 1975, p. 2.↩︎

  3. Disponible à l’adresse https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf↩︎

  4. https://sansremede.fr/↩︎

  5. Collectif Fou.Fol.&…, Zine #1, Mai 2017, https://commedesfous.com/wp-content/uploads/2017/05/zine-fou-fol-et-final.pdf↩︎

  6. Mise à Pïed, n°15-16, 3ème et 4ème trimestre 1981, p. 12.↩︎

  7. Sans Remède, n°3, Août 2011, p. 19,↩︎

  8. Voir François Tosquelles, Trait-d’union, Journal de Saint-Alban. Éditoriaux, articles, notes (1950-1962), Éditions d’Une, 2015, avec un accès sur site des éditions à des extraits donnant quelques informations sur ces deux journaux, https://editionsdune.fr/images/Tosquelles-21-32.pdf et une chronologie https://editionsdune.fr/images/Tosquelles-245-247.pdf↩︎

  9. Les Groupes d’Information furent nombreux dans les années 1970, formés sur le modèle du Groupe Information Prison (GIP) fondé en 1971, qui visait à produire des documents, informations et réflexions à partir des personnes concernées par certaines institutions ou discriminations, au sein de collectifs regroupant de nombreuses compétences et professions. Le GIA fut fondé en 1972. Sur le GIP, voir Le Groupe d’information sur les prisons : archives d’une lutte, 1970-1972, documents réunis et présentés par Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel,Paris, IMEC, 2003.↩︎

  10. Gardes-Fous, Hors-Série, Avril 1975, p. 2.↩︎

  11. Mise à Pied, n°7, hiver 1979, p. 2.↩︎

  12. Gardes-fous n°5, hiver 1975, p. 7 et sq.↩︎

  13. Voir AERLIP n°2, novembre 1975, p. 18 et sq. Pour un bref historique présentant la revue, http://www.serpsy1.com/pages/des-livres-a-lire/a-e-r-l-i-p-des-infirmiers-psychiatriques-prennent-la-parole.html↩︎

  14. « Éditorial, actualité de la répression psychiatrique », « En Allemagne, la section silencieuse », « La justice et la torture par l’isolement », « Maxima Pregrosidad : le rôle de la psychiatrie dans la répression en argentine », Gardes Fous n°3, p. 2-11, Eté 1974.↩︎

  15. Mise à pied, n°1, p. 10 et sq., 1977.↩︎

  16. Gardes-Fous, n°2, avril-mai 1974, p.20 et 25.↩︎

  17. Tankonalasanté, n°1, février 1973, p. 6.↩︎

  18. Coll., Mony Elkaim, Réseau Alternative à la Psychiatrie, Paris, UGE-10/18, 1977.↩︎

  19. Le texte y est directement consultable à l’adresse https://sansremede.fr/la-charte-des-internes/↩︎

  20. https://www.fanzino.org/↩︎

  21. Voir, entre autres, Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, Paris, Exils, 1998 ; Félix Guattari, Les années d’hiver, Paris, Les prairies ordinaires, 1999.↩︎

  22. Voir Liora Israël, À gauche du droit, mobilisations du droit de la justice et de la politique en France, Paris, Éditions EHESS, 2020.↩︎

  23. Voir par exemple La systématisation du contentieux de l’internement psychiatrique par le Groupe information asiles (GIA), http://psychiatrie.crpa.asso.fr/520↩︎

  24. Voir le texte fondateur : https://www.collectifpsychiatrie.fr/?cat=13↩︎

  25. Verbatim officiel à l’adresse https://www.vie-publique.fr/discours/173244-declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-la-re↩︎

  26. Voir à la fin de ce texte.↩︎

  27. Voir par exemple les pages consacrées au « Groupe Médocs » dans L’autre Zine, n°4, 2021.↩︎

  28. Soinsoin, n°1, 2017↩︎

  29. Sans Remède, n°5, Avril 2014, p. 2.↩︎

  30. Soinsoin, n°1, 2017.↩︎

  31. Tankonalasanté, n°17, automne 1974, p. 23.↩︎

  32. Tankonalasanté, n°17, automne 1974, p. 23.↩︎