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Politique, vécu, soin des handicaps

Politique, vécu, soin des handicaps

Atelier Santé et Handicap

Colloque international l’Ethique en question,

16-18 octobre 2019, Namur

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Partir des enjeux posés par les définitions possibles du handicap pour réfléchir aux rapports entre handicaps et santé peut paraître abstrait. Les vies concrètes des personnes handicapées, de leurs proches ou des soignants, ne se laissent en effet aucunement réduire à des questions de définition des handicaps. Ces définitions peuvent intéresser les scientifiques ou les experts, beaucoup moins ceux qui expérimentent les handicaps dans leurs temporalités et leurs spatialités propres, qui varient sans cesse et impliquent des actions toujours particulières.

Les définitions du handicap permettent pourtant d’exhiber les tensions qui se posent au quotidien, pour tous ceux qui vivent avec du handicap : non pas en proposant des solutions ou des modèles tout faits, mais en indiquant où se jouent les possibilités de vécu, de soin, d’accompagnement et d’attention. C’est ce que nous voudrions faire ici au travers de quatre problèmes couramment rencontrés lorsqu’il s’agit de définir ce que sont les handicaps : (1) Le rapport individu / environnement, (2) Le rapport santé / activité, (3) Le rapport particulier / général, (4) Le rapport entre monstruosité, invalidité et handicap.

Les différentes difficultés qui se posent à ces quatre niveaux permettent de comprendre que ce qui se joue aujourd’hui avec les handicaps, pour les non-handicapés comme pour les handicapés, passe par des jugements permanents sur la santé et l’activité. Juger de la santé engage la responsabilité des personnes, en tant que la santé engage des questions de vie et de mort. Juger de l’activité implique de saisir et d’évaluer ce que l’on peut faire avec soi-même ou avec les autres, sans jamais pouvoir complètement s’oublier en tant qu’individu singulier tandis que l’on interagit plus ou moins longuement, plus ou moins quotidiennement, avec les autres. Et ces jugements sur l’activité et sur la santé sont nécessairement complexes, toujours à refaire et à réviser, au croisement du médical, du social, du politique et du personnel.

 

1. Des individus à leur santé, des environnements au travail : l’autonomie en question

La notion de handicap repose avant tout sur une distinction essentielle, même si elle peut paraître abstraite et fort générale, entre maladie et handicap. Le handicap n’est pas une maladie, mais consiste en les conséquences d’une maladie. C’est cette différence qui commande par exemple la différence entre prise en charge pour une maladie chronique (A.L.D., Affection Longue Durée) et reconnaissance d’un handicap1. C’est ce qu’on appelle le modèle biologique du handicap, tel qu’il a été adopté en 1980 par l’OMS dans la première version de la Classification Internationale des Handicaps (C.I.H. 1). Les handicaps y sont considérés comme étant les conséquences fonctionnelles de pathologies corporelles.

Ce mmodèle, apparemment évident, a été ouvertement critiqué dès les années 1970 tandis que sa formalisation était en cours, notamment au sein des Disability Studies. Celles-ci sont nées à cette époque, en Angleterre et aux États-Unis, sur des bases marxistes, bases qui se sont diversifiées depuis. Les Disability Studies ont cherché à modifier en profondeur les causes admises aux handicaps, en affirmant que ces derniers étaient causés non par une tare biologique à l’origine de troubles fonctionnels, mais par des facteurs environnementaux et plus largement sociaux. Les schémas de production des handicaps sont ainsi à inverser : il ne s’agit plus de dire que les individus sont inadaptés aux environnements à cause de leurs pathologies individuelles, mais de dire que les environnnements provoquent l’inadaptation des individus en ne se prêtant pas aux capacités d’action particulières de ces derniers. En d’autres termes, on est handicapé non pas parce qu’on est paraplégique, mais parce que les trottoirs, avec leurs bordures hautes, ne permettent pas d’y circuler en fauteuil roulant lorsqu’on est paraplégique. L’objectif est de substituer, par ce changement de perspective, une modélisation sociale des handicaps à leur modélisation médicale, de telle sorte que les efforts d’adaptation ne soient plus à exiger des individus handicapés, mais soient à faire porter sur l’aménagement des environnements handicapants.

À s’en tenir là, la substitution d’un modèle à l’autre ne permet guère de prendre position par rapport à certaines difficultés, pourtant cruciales, et que les Critical Disability Studies ont plus ou moins tenté de résoudre, jusqu’à aujourd’hui. On présentera quatre difficultés ici, en allant des plus générales aux plus concrètes, bien qu’elles soient toutes liées :

Ce dernier point, apparemment purement historique, est d’une extrême importance. Il permet d’indiquer que la notion d’autonomie, au cœur des traitements du handicap, est à envisager, elle aussi, finalement, d’une manière critique. L’autonomie, même si elle désigne en général la liberté de faire ce que l’on veut, peut aussi être définie de manière négative, en particulier pour les personnes handicapées, comme le fait de dépendre le moins possible des autres grâce à son travail et à la santé qui mettent en dehors des dangers vitaux plus ou moins lointains. Être autonome, c’est ne pas risquer de dépérir, pour des raisons sociales ou biologiques.

Il faut alors se demander ce que signifie, réellement, concrètement, être autonome pour une personne handicapée et jusqu’où cet objectif doit être poursuivi, alors que nous sommes tous interdépendants les uns des autres et que l’autonomisation vise plutôt, à tort ou à raison, d’effacer le plus possible ces liens d’interdépendance : l’autonomie, est-ce pouvoir rester seul sans risquer sa vie quelques heures, ou quelques jours ? Est-ce être capable de se fournir ses propres revenus ? Est-ce la capacité à se déplacer en dehors de chez soi ? Il faut en tous cas réfléchir aux significations et aux modalités concrètes de l’autonomie, afin de mettre en place cette valeur d’une manière pragmatique en envisageant ses racines sociales d’un regard critique.

 

2. De l’autonomie au vital, délier la santé et l’activité

Les facteurs sociaux du handicap ne concentrent pas tous les problèmes et toutes les solutions aux handicaps, si l’on examine ces facteurs de près. De même, le pôle corporel des handicaps n’est pas simple. Il n’est pas, quoi qu’en disent les grilles médico-sociales, réductible au fonctionnel, à un jugement sur ce que les personnes savent faire ou pas. Il implique en réalité une évaluation permanente de l’état de santé, c’est-à-dire une approche biologique des handicaps qui a tendance a être de plus en plus fine, qui ne va pas sans dangers.

En effet, on pourrait croire qu’il ne peut pas y avoir de mise en rapport sérieuse ou scientifique entre l’état des corps individuels et ce que les individus peuvent faire : déduire les capacités de quelqu’un de son état biologique ou sanitaire paraît absurde, et au minimum très incertain. Ce n’est pas parce que l’on a un corps dans un état pathologique qu’on ne peut pas agir même si l’on va alors agir autrement, par exemple, conduire sa voiture plus lentement parce que l’on est grippé. Réciproquement, ce n’est pas parce qu’on peut agir que l’on possède un corps en bonne santé, de telle sorte que Toltoï a pu sortir de son lit d’agonisant pour aller mourir dans une gare, à des kilomètres de chez lui.

Ces raisonnements simples paraissent pourtant ne pas valoir avec les handicaps, à un quadruple niveau, que l’on va également parcourir rapidement :

Vis-à-vis de cette tendance, il n’est pas possible d’apporter de réponse univoque. La complexité des problèmes posés, la multiplicité des cas l’excluent. Cependant, il est clair qu’il convient de réfléchir sans cesse aux distinctions possibles entre santé et activité, et on peut croire que cette distinction est précieuse dans la mesure où elle permet de délier ce que sont biologiquement les personnes et ce qu’elles font de cet état biologique. Elle correspond une manière de défendre leur liberté et d’argumenter en faveur de leurs possibilités de guérison et de transformation.

3. L’activisme des personnes handicapées : faire des droits généraux et particuliers

Ces enjeux de définition des handicaps à l’intersection du social et de l’individuel où il faut les saisir comme situation et comme régularité, où il faut les comprendre également par la corrélation du biologique et du fonctionnel sans que cette corrélation ne soit cependant réductible à un lien de cause à effet, touche au premier chef les personnes handicapées. Celles-ci ne sont pas de simples spectateurs passifs de ces débats, elles y interviennent également et essaient d’y peser.

Cet activisme des personnes handicapées peut prendre des formes contestataires virulentes et conflictuelles. Dans les années 1970 jusqu’au début des années 1980 existaient par exemple les Comités de Lutte des Handicapés. Proches des libertaires et des marxistes, réalisateurs d’un film politique sur les handicapés, Bon pied, bon œil et toute sa tête, ils éditaient également le journal Handicapés Méchants, nom sous lequel ces comités de lutte sont restés dans les mémoires.

Leur contestation, ainsi que leurs projets politiques et sociaux méritent d’être rappelés pour de multiples raisons, mais on en retiendra plus particulièrement deux ici. La première, c’est que ce collectif de personnes handicapées a montré quelles étaient les principales bases des dispositifs médico-sociaux destinés aux personnes handicapées, et la fragilité de ces bases. Ont été ainsi remis en question le travail comme forme d’activité à privilégier, critiquées les institutions et leur contrôle de la mixité et de la sexualité, attaquée l’idée de corps monstrueux ou invalide dont la valeur serait moindre que celle des autres corps.

À s’en tenir là, les Handicapés Méchants n’auraient fait qu’affirmer et que mettre en œuvre, en France, la modélisation sociale des handicaps élaborée en Angleterre et au États-Unis dans les Disability Studies. Mais leur démarche a aussi eu pour intérêt de mettre en perspective critique la façon dont les droits accordés aux personnes handicapées était conçue. Ils ont, globalement, rejeté la façon dont les droits sociaux sont habituellement distribués, comme des transferts de biens valant compensation, tantôt en fonction des caractéristiques des personnes défavorisées, tantôt en fonction de ce que l’on peut donner relativement aux moyens sociaux disponibles pour une redistribution - le premier cas correspondrait actuellement à la théorie des capabilités de Martha Nusssbaum, le second à celle du maximin de John Rawls. Ce rejet des droits sociaux comme compensation a consisté d’abord à pointer les causes générales, universelles, des handicaps : les manières de vivre occidentales, et en particulier le culte du travail et de la productivité illimitée. Ces repères sociaux qui sont les nôtres entraînent en effet accidents et rejets des moins productifs, dans une spirale infernale qui ne semble pas devoir connaître de frein. Le soin des handicaps, dans cette perspective, doit être un soin de la société toute entière par rapport à elle-même ; il doit correspondre à un changement de nos manières de vivre en général pour que cessent les mutilations et le rejet des moins aptes.

À cette approche systémique ou d’ensemble, les Handicapés Méchants associaient une autre manière de revendiquer des droits, en les établissant d’abord par le fait, au quotidien, en les mettant en œuvre avant même qu’ils ne soient discutés ou accordés, par exemple en matière d’accessibilité. Cela leur permettait de montrer la pertinence, la possibilité et l’importance de dispositifs particuliers, faciles à mettre en œuvre sans avoir à s’engager sur des questions de principe ou d’extension de ces dispositifs. Montrer leur possibilité et leur efficacité en les réalisant permettait aux personnes handicapés d’en jouir tout en empêchant qu’on proclame leur infaisabilité à partir de considérations générales.

On pourrait souligner le paradoxe qu’il y a à faire des handicaps à la fois un produit de la société en général nécessitant une réforme d’ensemble de celle-ci, et à la fois des condensés de difficultés diverses nécessitant des dispositifs particuliers, sans possibilité de solution générale. Mais ces deux perspectives, particulières et générales, ne se contredisent pas. Elles se complètent plutôt. D’un côté, les actions d’ensemble doivent permettre de faire baisser le nombre d’handicapés, c’est-à-dire de blessés par nos modes de vie, tout en augmentant simultanément la tolérance sociale aux prétendus inaptes grâce à la révision de nos critères d’efficacité, notamment professionnels. D’un autre côté, les actions particulières doivent remédier aux handicaps existants, en empêchant que les plus faibles, les plus mutilés, soient exclus.

Surtout, on peut croire que le type de contestation portée par des groupes comme les Handicapés Méchants permet de mettre en lumière les deux types de droits utiles aux personnes invalides, qui ne peuvent et ne doivent pas être construits sur le même modèle. Il y aurait d’une part des droits ouvrant à la participation à la vie sociale dans son entier (comme l’accessibilité, la citoyenneté), autant de droits qui doivent être posés et affirmés de manière universelle pour toutes les personnes, handicapées ou non, si l’on veut qu’ils soient respectés et effectifs. Il y aurait, d’autre part, des droits à établir au cas par cas, dans les dispositifs d’aménagement des modes de vie, sur la base d’un droit à avoir des droits particuliers et de la faisabilité de ces dispositifs.

Le type de contestation portés dans les années 1970 par les Handicapés Méchants a été repris actuellement par d’autres groupes de personnes handicapées, comme le Collectif Lutte et Handicap pour l’Égalité et l’Émancipation (C.L.H.E.E.). Ce collectif lutte au nom des droits fonddamentaux (donc d’un universel, comme pouvaient l’être les formes de travail pour les Handicapés Méchants) ainsi qu’à partir de rassemblements non-mixtes, excluant temporairement les personnes non handicapées, afin que des droits particuliers puissent être recherchés, affirmés et élaborés. Ce que montre ainsi l’activisme des personnes handicapées tout au long de son histoire, c’est que leurs droits ne valent que s’ils sont mis en œuvre en fonction de chaque situation particulière, bien qu’ils doivent être fondés de manière inconditionnelle, valables pour tous, partout et tout le temps.

Avec le handicap, c’est l’articulation de l’universel et du particulier au sein des sociétés qui est donc en jeu. Cette articulation est d’autant plus importante que le traitement réservé aux handicaps découle des grands changements qui affectent les sociétés dans leur ensemble, comme la Première Guerre Mondiale ou l’instauration de la Sécurité Sociale, plus que d’une capacité des personnes handicapées à révolutionner à elles seules les dispositifs médico-sociaux.

4. Monstres, invalides, handicapés : des différences à la spatio-temporalité de l’agir

Mettre l’accent sur la société et ses lois face aux individus, à leurs corps ou à leur santé, ne signifie par conséquent aucunement que la situation des personnes handicapées doive être saisie par des oppositions binaires, et plus ou moins conflictuelles. Ce sont bien des articulations complexes qu’il s’agit toujours de concevoir. Celles-ci existent au quotidien, au plus près du vécu des personnes, et pas seulement au sein des dispositifs techniques, juridiques ou autres.

C’est ainsi que l’intime, le politique et l’historique se mêlent dans les rapports que les handicapés et les non-handicapés entretiennent avec eux-mêmes et avec les autres. Trois types de représentations au moins se croisent, actuellement, qui forment l’image des personnes handicapées : celle du monstre, celle de l’invalide, et celle de l’handicapé en tant que tel. La monstruosité correspond à la différence de forrme et d’apparence, à la différence d’identité, aussi inquiétante qu’elle est visible. L’invalidité renvoie quant à elle à la mauvaise santé, à la faiblesse et à l’impuissance, à laquelle correspond également le terme d’« infirme » : elle dénote l’inférieur, l’infériorité de qui a moins de force et de vitalité. Le handicap, enfin, désigne le désavantage : non pas une différence de forme, pas non plus une faiblesse essentielle, mais un manque qu’il est possible de compenser afin de donner à tous les mêmes possibilités d’activité - et plus particulièrement, comme on l’a vu, d’activité sociale et socialisante, c’est-à-dire de possibilité de travail.

De ces trois traits, le handicap comme désavantage est le plus récent et le plus dominant, en tous cas dans nos dispositifs médico-sociaux contemporains. La monstruosité et l’invalidité semblent remonter à la plus haute antiquité, bien qu’il soit aussi possible d’en faire l’histoire, complexe et réellement changeante.

L’essentiel reste toutefois, d’une part, de remarquer que l’idée de handicap n’a pas totalement effacé celles de monstruosité et d’invalidité. Rencontrer une personne handicapée, c’est souvent se confronter à des différences visibles, perceptibles, plus ou moins frappantes, qui confrontent à la différence dans ce qu’elle a de plus immédiat et de plus incarné. Il n’y a donc rien d’étonnant, ni de honteux, à être surpris et quelque peu apeuré dans les premiers temps de la rencontre avec une personne handicapée, et que cette inquiétude face à la différence revienne par intermittence. En avoir conscience et l’admettre peut même améliorer les rapports que l’on entretient avec les handicapés : ne pas avoir honte de ses peurs permet en effet de les chasser plus facilement, et plus encore de ne pas retourner sa honte en agressivité vis-à-vis d’autrui.

De même, l’invalidité (ou l’infirmité) restent liés à notre rapport au handicap, et sans doute de manière encore plus serrée et permanente que la perception de la monstruosité. En effet, ces idées renvoient à la faiblesse tandis que celle de handicap renvoie à celle d’une augmentation des activités possibles. Il y a là une rencontre des contraires. Compenser son handicap, d’une certaine façon, c’est être moins faible, alors que la force acquise augmente les possibilités d’action que l’on a. Toute la question est alors de savoir quels repères les idées de faiblesse et de renforcement, ou d’impuissance à agir et d’augmentation de ses capacités, offrent aux personnes handicapées et non-handicapées pour s’orienter et vivre les unes avec les autres. En effet, le non monstrueux, c’est celui qui a la même forme que soi. Mais qu’est-ce que le non-invalide, ou le non-handicapé ? Qu’est-ce qu’avoir les mêmes capacités d’agir que les autres ? Mettre l’accent sur le handicap et non plus sur la monstruosité a certes permis que les personnes handicapées ne soient plus rejetées, en étant l’objet de craintes. Mais le handicap a aussi transformé un critère d’identité en un problème d’égalité, qui n’est guère simple à résoudre, et peut-être pas beaucoup plus simple à vivre.

En effet, l’égalité dans l’activité ne peut pas se réduire à une égalité de performance, de réussite au coup par coup. Elle suppose aussi une endurance commune, un rythme commun, beaucoup moins évident à atteindre et à définir. Être handicapé avec une personne non-handicapée, ou une personne valide avec une personne handicapée, c’est ainsi être confronté en permanence à des problèmes de vitesse et de lenteur, de capacité à répéter, de fatigue et de résistance à la fatigue. Le soin des handicapés, plus largement la vie partagée entre handicapés et non-handicapés, repose sur des questions de temps, de durée, qui se posent en permanence. Il ne s’agit pas de réussir à faire telle ou telle chose une fois : il faut éventuellement pouvoir le refaire, ou pendant le temps qu’il faut, ou moins lentement, ou moins vite. C’est pour cette raison que l’organisation du temps, des cohabitations, des efforts des uns ou des autres, est une question centrale dans les dispositifs médico-sociaux, au quotidien.

Quotidienne, centrale, cette question rejoint celle des institutions, du droit et du soin des vies. Permettre l’usage que l’on veut de son temps, en fonction de ses possibilités et de ses désirs, est en effet une des composantes essentielle de la liberté. On peut dire que si l’espace et l’accessibilité est une condition de la liberté pour toutes les personnes (handicapées physiques ou autres), la possibilité de faire selon son temps propre est une condition d’effectuation de cette liberté. Pouvoir aller où l’on veut permet les rencontres, les essais, les expériences qui sont la base de la liberté ; prendre le temps qu’il faut ou refuser de le dépenser est nécessaire pour pouvoir mettre en œuvre cette liberté qui s’ouvre avec les autres en différents endroits. Se joue là quelque chose de similaire à l’articulation des droits universels, inconditionnels, et des droits à découvrir et établir dans les situations particulières. Se joue là également le rôle et l’organisation des institutions, tandis que la nécessité de pouvoir jouir du temps et de l’espace ne va pas sans risques minimums qui rentrent facilement en conflit avec les exigences assurancielles de protection de la vie. Permettre à chacun d’agir pleinement selon ses singularités, non sans risques, et tout en protégeant sa santé et sa vie, tel est sans doute le défi de la vie avec les personnes handicapées.

Stéphane Zygart


  1. Tous les exemples juridiques seront ici empruntés au droit français.↩︎